Le Cambodge reste très dépendant du bois et du charbon de bois pour ses besoins thermiques (cuisson domestique, restauration, chauffage industriel…) et la moitié du charbon consommé à Phnom Penh provient de la chaîne des Cardamones. Cette forêt primaire abrite un des derniers sanctuaires faunistiques et floristiques des pays du Mékong, mais la déforestation menace la biodiversité et les paysages et aggrave les risques climatiques et les conflits fonciers ou d’usages des terres.

L’intervention du Geres cible les zones tampons de l’aire protégée du Phnom Oral, qui offrent une protection naturelle essentielle contre la dégradation forestière et les aléas climatiques, mais dont l’intégrité est plus que jamais menacée par la pression sur les ressources forestières.

En savoir plus sur les défis de l’énergie durable au Cambodge

La production de charbon de bois traditionnel est souvent le fait de migrants qui vivent le long de la ligne de déforestation illégale. Contrer cette activité est difficile, l’Administration Forestière (AF) intervient, détruit leurs fours mais ils se déplacent et reprennent ce travail qui leur assure de maigres revenus.

Le projet KjuonGo, le défi d’initier une chaine de valeur légale, durable et rentable

Contexte. Le Geres intervient au Cambodge depuis 1994. De 2003 à 2013 plus de 3 millions de foyers améliorés domestiques sont produits et distribués avec le soutien de la finance carbone. A partir de 2008, un travail est initié pour améliorer les techniques de carbonisation traditionnelles et favoriser une gestion forestière durable par les communautés forestières (CF). En 2012, l’activité Khmer Green Charcoal (KGC), dédiée à la production de briquettes, devient une entreprise sociale indépendante.

A partir de 2016, avec le soutien du PNUD, le Geres propose un nouveau modèle commercial avec le concept KjuonGo de chaîne de valeur alternative durable, légale et traçable pour le charbon de bois. Ce modèle repose sur la mise en relation des acteurs, l’optimisation de la logistique et la traçabilité grâce à une application mobile spécifique.

Les charbonniers, connectés aux CF, achètent du bois récolté de manière durable, dans la limite des quotas autorisés par l’AF. La production est améliorée grâce à l’appui technique fourni, et le charbon de bois durable est distribué aux clients sous la marque KjuonGo.

Découvrir le projet de valorisation durable des ressources forestières des Cardamones au Cambodge

De 2019 à 2022, le projet KjuonGo intègre le programme CEMAATERR[1]. KjuonGo concerne les provinces de Pursat et Kampong Chhang et s’articule autour de deux volets : la chaîne de valeur de charbon durable communautaire et les plantations communautaires. Il bénéficie du soutien de l’Agence Française de Développement, du Fonds nordique pour le développement et de la fondation Maisons du Monde.

Le Geres favorise la structuration de la chaîne de valeur en accompagnant des communautés forestières et des charbonniers sur les aspects techniques et organisationnels ainsi que l’AF locale au travers des procédures de production de charbon de bois légal. Les activités commerciales sont assurées par l’entreprise KGC : commandes de bois aux CF, vente du charbon durable, suivi de la qualité jusqu’aux consommateurs finaux, relations avec l’AF nationale pour les procédures administratives de légalisation. Enfin KGC organise les campagnes de publicité tandis que le Geres sensibilise des usines textiles à l’utilisation de la biomasse durable.

Le second volet du projet porte sur les plantations communautaires en appuyant les initiatives de reforestation des communautés avec des espèces natives et en testant trois modèles alternatifs : acacias plantés sur des terrains communaux, fruitiers plantés sur des terres privées et plantation d’acacias à vocation commerciale pour le bois de feu et les produits à plus forte valeur ajoutée.

[1] Cet article s’inspire en particulier du rapport d’évaluation réalisé par ACK International pour l’AFD et le Geres : Programme CEMAATERR- « Climat – Energie : Mesures d’Adaptation et d’Atténuation sur les Territoires Ruraux » – Evaluation finale de la Phase II -Note Composante Pays : Cambodge – 2022

Kjuongo, des impacts sociaux, économiques et environnementaux

Au cours de ces trois années, des résultats quantitatifs significatifs ont été obtenus :

• 12 CF et des charbonniers impliquées, respect des quotas de 100 % de charbon légal,
• 12 fours à charbon plus efficaces construits ou rénovés par les charbonniers, un produit commercialisable pour KGC ;
• 17 ha reboisés, 13 000 plants produits dans les pépinières, près de 9 000 arbres plantés et de 7 400 ha de forêts gérées durablement ou protégées par les communautés, 7,5% des revenus générés par les CF réinvestis, principalement pour le financement des patrouilles ;
• La réalisation participative de cartes (plantations, zones dégradées, etc) et de plans d’action élaborés par les communautés pour la protection et restauration de leurs forêts.

De premiers impacts positifs sont à souligner :

impacts sociaux avec l’implication des femmes et la reconnaissance du statut des charbonniers, impacts environnementaux avec moins d’émissions de fumées lors de la carbonisation, environ 588 tonnes équivalent CO2 évitées (auxquels s’ajoute une quantité estimée à 4,800tCO2eq en déforestation évitée) et un modèle de plantation communautaire commerciale, impacts économiques avec des créations d’emploi (163 créés, en majorité à temps partiel, dont 54 pour les femmes), des revenus générés, une activité viable pour KGC.

Toutefois, la lenteur de l’Administration Forestière à légaliser ces activités et la baisse de la demande liée aux restrictions sanitaires Covid19 ont fortement impacté les quantités de charbon produites en 3 ans : 74 tonnes de charbon KjuonGo vendues contre 300 prévues.

Le cas des charbonniers est particulièrement intéressant : l’activité légale améliore leurs revenus mais aussi leur statut social. Ils avaient une très mauvaise image : illégaux, travail dangereux, assimilés à des gens pauvres.

KjuonGo permet de les enregistrer officiellement. Avec une licence et un statut ils peuvent travailler le jour, sans se cacher, dans des conditions plus sécurisées, et avec des perspectives de progrès techniques.

Des résultats prometteurs mais des défis de taille pour passer à l’échelle

En 2022, le projet Geres s’achève. Il permet alors d’enclencher une collaboration entre KGC et les communautés pour un charbon ayant un impact environnemental mais aussi social. Les freins et leviers en vue d’un passage de cette phase pilote à une action de plus grande échelle ont été identifiés.

Même si le premier critère reste le prix, le bénéfice social est important pour les consommateurs urbains tout comme pour les institutions. Des accords d’achat de charbon durable ont d’ores et déjà été passés entre KGC et 4 producteurs de charbon et KGC recherche des financements auprès d’investisseurs privés.

De même une relation de partenariat s’est construite entre KGC et l’Administration Forestière au niveau national. Mais ira-t-elle jusqu’à soutenir les actions d’accompagnement au travers de financements publics, avec l’implication de nouvelles CF ?

Par ailleurs, la maîtrise de l’énergie est un vrai sujet dans les usines textiles et 50 d’entre-elles se sont engagées dans un diagnostic énergétique incluant la biomasse (projet Switch Garment avec le Geres). La montée des exigences des marques internationales quant aux combustibles utilisés par leurs fournisseurs offre des débouchés pour le bois produit de façon légale et durable.

Le projet du Geres a eu l’ambition de travailler sur plusieurs innovations en matière de produit, de chaîne de valeur, de cadre de dialogue et de concertation, et d’approche, en alliant approche territoriale et approche chaîne de valeur. Espérons que ses acquis seront suffisants pour résister à la concurrence de la filière charbon de bois informelle et non régulée, qui n’intègre aucune contrainte de durabilité en termes d’approvisionnement en bois.