Les enjeux de la précarité énergétique en France
Entretien avec Marie-Maud Gérard, Responsable du programme Énergie Habitat Précarité au Geres.
Au cours de ses 40 années d’expérience, le Geres a développé une expertise dans la lutte contre la précarité énergétique en Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ingénieure énergie & environnement, Marie-Maud Gérard a rejoint le Geres il y a 14 ans en tant que conseillère énergie et partage son analyse. Elle revient sur le parcours difficile de Jocelyne, rencontrée dans le cadre d’un diagnostic socio-énergétique à son domicile.
Quelle est l’histoire de ces personnes en situation de précarité énergétique ?
Lors des visites à domiciles, les entretiens visent à affiner la compréhension des situations socio-économiques particulières des ménages en précarité énergétique[1] et à leur apporter des solutions adaptées. Chaque parcours est différent. Par exemple, en mai dernier nous avons longuement échangé avec Jocelyne[2]. A 67 ans, elle est à la retraite et vit seule, suite à un divorce difficile. Faute de moyens, elle est incapable de changer sa chaudière en panne et renonce au gaz en optant pour un chauffage d’appoint.
Si le faible niveau de ressources et la mauvaise performance du logement sont des facteurs déterminants, ces visites à domicile nous permettent de mieux appréhender les dimensions sociales complexes dans lesquelles se trouvent ces personnes et leur famille.
Jocelyne explique que depuis les difficultés financières rencontrées lors des derniers hivers de grand froid, elle préfère limiter sa consommation énergétique. Comme elle, beaucoup de ménages se restreignent pour maîtriser leurs dépenses mettant ainsi leur bien-être de côté.
Ces situations entraînent des conséquences économiques, mais aussi sanitaires (maladies respiratoires, dépression) et sociales. Jocelyne n’ose plus accueillir des amis chez elle à cause du froid et s’isole progressivement.
Connait-on le nombre de ménages français en situation de précarité énergétique ?
Pour estimer le nombre de ménages en situation de précarité, l’Observatoire National de la Précarité Énergétique (ONPE) s’appuie notamment sur le taux d’effort énergétique (TEE) [3] – le rapport entre les dépenses liées à l’énergie et le revenu – mais aussi sur le froid ressenti dans le logement [4] : au cours de l’hiver 2017, 15 % des français déclarent avoir souffert du froid chez eux, en raison de restrictions volontaires ou en raison de système de chauffages défectueux ou insuffisant.
En quoi les habitants de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur sont-ils touchés par la précarité énergétique ?
Dans la région, le taux de ménages en situation de précarité énergétique est en dessous de la moyenne nationale de 12 % environ, grâce en partie au climat tempéré des zones côtières. En revanche, cet avantage apparent s’est traduit par moins d’effort en termes d’isolation lorsqu’il a fallu construire, voire des logements sans systèmes de chauffage fixe, et les familles les plus vulnérables, en forte proportion dans la région, en pâtissent plus spécialement.
Le confort d’été est également un problème plus marqué sur ce territoire avec des températures élevées, des surconsommations d’appareils de froid et l’installation de climatisations mobiles peu efficaces.
Les actions de lutte contre la précarité énergétique regroupent divers acteurs. Quelle est la place du Geres et comment faites-vous pour œuvrer avec ces acteurs ?
Il existe en effet de nombreuses initiatives et une grande diversité d’acteurs car les actions de lutte contre la précarité énergétique nécessitent de mobiliser des compétences diverses et complémentaires. Pour mener à bien notre intervention nous travaillons avec les acteurs au contact des ménages, tels que les travailleurs sociaux et les institutions d’aides financières, des structures de l’insertion professionnelle, et également avec les professionnels de santé.
Le Geres porte ainsi des initiatives visant à regrouper ces différents acteurs : en impliquant l’ensemble des parties prenantes, l’objectif est de mutualiser nos efforts et d’apporter des réponses complètes adaptées à chaque situation.
En tant qu’experts de l’énergie et acteurs de terrain, notre rôle est également de former et de faire monter en compétences les acteurs au contact des ménages grâce à des échanges d’expériences.
Au-delà des actions avec les acteurs régionaux, nous nous attachons à rencontrer nos homologues Méditerranéens pour partager nos expériences, et porter nos recommandations auprès des instances inter-étatiques et accélérer la transition énergétique pour tous sur l’ensemble des territoires.
Quelle est l’implication des ménages dans ce dispositif?
Notre enjeu est de permettre aux ménages de trouver par eux-mêmes des solutions à leurs problèmes permettant d’améliorer leur confort en réduisant, si possible, leur facture. Or le lien entre les usages, la consommation énergétique et la facture est difficilement palpable pour les ménages. Nous les accompagnons dans le repérage des problèmes, la compréhension et le choix de solutions adaptées. Afin de faciliter la réalisation de travaux de première nécessité au coût non négligeable pour les familles, nous œuvrons à la création d’un fonds d’aide et accompagnons les ménages à faire valoir leurs droits.
Nous travaillons également avec des partenaires sur la compréhension des situations de précarité énergétique et la recherche de solutions, en apportant des connaissances techniques et en développant des méthodes de sensibilisation et de formation. Nous travaillons par exemple avec les acteurs de la santé afin de co-construire des ateliers santé-environnement-énergie à destination des familles, visant à les sensibiliser aux risques sanitaires.
Quels impacts attendus pour les ménages ?
L’ensemble de ce dispositif de lutte contre la précarité énergétique porté par le Geres vise à renforcer le pouvoir d’agir d’à minima 400 familles en situation de précarité énergétique, dont 50 bénéficieront de travaux de premières nécessités dans leur logement grâce au fonds d’aide.
Sortir ces familles vulnérables de la précarité énergétique permettrait d’améliorer durablement leurs conditions de vie, de réduire les risques sanitaires et d’isolement social auxquels elles sont confrontées, tout en engendrant des économies annuelles entre 200 et 400 € sur le budget eau-énergie des ménages.
Pour aller plus loin
Le Geres a développé une expertise dans la lutte contre la précarité énergétique en Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et a su capitaliser sur son expérience pour développer des projets dans d’autres pays d’action, au Maroc, en Mongolie, etc. Ces actions en France et à l’international sont soutenues par de nombreux partenaires privés et publics.
Si vous aussi vous souhaitez contribuer au développement de notre dispositif de lutte contre la précarité énergétique, merci de contacter l’équipe mécénat.
Cet entretien a été mené par Léa Watine, chargée de partenariats au Geres.
[1] « Est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat. » Définition adoptée dans le cadre de la loi du 12 juillet 2010.
[2] Entretiens menés dans le cadre des actions du Geres et grâce au soutien de la Fondation Rexel.
[3] Cet indicateur considère un ménage en précarité énergétique lorsque ses revenus sont faibles et que ses dépenses énergétiques dans son logement sont supérieures à 8 % de son revenu.
[4] Cet indicateur analyse le ressenti du froid dans le logement selon les cinq motifs suivants : mauvaise isolation, installation de chauffage insuffisante, panne de chauffage, limitation du chauffage en raison du coût, coupure d’énergie liée à un impayé.
[Photo en-tête] Atelier co-organisé avec le CPIE du Pays d’Aix sur les dépenses énergétiques au Baou de Sormiou.
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