État des ressources et des solutions : notre décryptage sans filtre, avec une touche d’espoir
Entre les crises énergétiques majeures que nous traversons et les solutions possibles pour en sortir, on a parfois du mal à comprendre où nous en sommes réellement et ce qu’il est encore possible de faire.
Camille André, consultant indépendant spécialiste des sujets liés à l’adaptation aux changements climatiques
et Magali Mouries, qui travaille dans l’éolien flottant, tou·te·s deux bénévoles auprès du Geres, décryptent la situation et nous aident à faire le point.
Interview croisée.
Camille, Magali, pouvez-vous nous aider à comprendre la différence entre toutes les énergies, et notamment leur impact sur l’environnement ?
— Magali : Les énergies fossiles d’une part sont issues de la transformation de matières organiques, composées principalement de carbone, enfouies dans le sol pendant des millions d’années.
Elles sont donc non renouvelables à notre échelle. Parmi elles on compte le charbon, le pétrole, le gaz naturel (dont le gaz de schiste). Les énergies renouvelables d’autre part (acronyme EnR) se répartissent en 5 grandes familles :
- l’énergie solaire (photovoltaïque, thermique et thermodynamique),
- l’énergie éolienne (terrestre et en mer),
- la biomasse (issue de la combustion ou de la transformation de matières organiques),
- l’énergie hydraulique
- et la géothermie
— Camille : Aujourd’hui, le mix à l’échelle mondiale c’est 80% d’énergies fossiles. La part de l’énergie issue de la biomasse traditionnelle (ce qu’on brûlait de manière classique comme le bois) était stable jusque dans les années 1900, mais à partir de là, la consommation de charbon a explosé puis celles de pétrole et de gaz à partir de 1950.
Le reste, solaire, vent, nucléaire et hydro, reste une infime partie de l’énergie consommée dans le monde, essentiellement sous forme électrique.
À l’heure actuelle le problème c’est que tout notre système de production (y compris de l’électricité) est en très grande partie basé sur l’exploitation des énergies d’origine fossiles, qui émettent des gaz à effet de serre et des particules fines qui polluent l’air et sont responsables de morts prématurées.
— Magali : En France, le mix est un peu différent. Une grande part de l’électricité produite est d’origine nucléaire, libérée par le noyau des atomes, principalement d’uranium, produite par fission nucléaire (la fusion étant toujours en phase de recherche et développement).
Aucune énergie n’est 100% écologique, mais si on devait les “classer”, le charbon est considéré comme la source d’énergie la plus polluante à l’origine des plus fortes émissions de CO2 et de la pollution des nappes phréatiques, quand le gaz naturel est actuellement l’énergie fossile la “moins” polluante, avec 30 à 50% d’émissions de CO2 en moins par rapport aux autres combustibles fossiles.
Les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire n’émettent pas de gaz à effet de serre, cependant l’énergie nucléaire présente des risques liés à la radioactivité et génère des déchets radioactifs qu’on ne sait toujours pas traiter.
— Camille : Au niveau mondial, on n’a jamais vraiment entamé une transition énergétique : ce qu’on a trouvé et exploité comme nouvelles sources d’énergie s’est additionné au reste, pour répondre à une demande toujours plus importante mais surtout très inégale entre les pays et au sein des pays !
Le sujet n’est pas seulement de développer de nouveaux moyens pour exploiter plus efficacement les sources d’énergie, c’est avant tout de s’interroger sur comment nous pouvons changer de modèle de société pour réduire et cibler notre consommation, c’est l’idée de la sobriété énergétique.
On nous parle d’épuisement des ressources mais à échelle humaine on a parfois l’impression que cet épuisement est lointain, qu’en est-il vraiment ?
— Camille : Les ressources naturelles il y en a beaucoup : les matières premières minérales (métaux, pierres), les ressources d’origine sauvage (plantes, animaux etc. qui ont une capacité de renouvellement rapide si on les laisse un peu tranquilles), le milieu naturel (eau, terre, vent, feu), les sources d’énergie primaires (soleil, vent) et les ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz)…
Techniquement, elles sont toutes “renouvelables”, c’est juste une question d’échelle de temps. Si tu laisses de la matière organique des millions d’années dans la terre tu auras à nouveau du pétrole, mais cette échelle n’est pas celle de l’humain industrialisé.
En 1971, on épuisait les ressources que la Terre était capable de renouveler en un an au mois de décembre. Désormais c’est en juillet… On vit à crédit et chaque année nous creusons une dette par rapport à ces ressources.
Le système humain dépasse déjà les limites planétaires, on tire sur la biodiversité de manière tellement forte qu’on casse sa capacité à se reproduire, on sur-exploite les capacités du cycle de l’eau, etc.
Quand serons-nous arrivés au bout de chaque ressource ? C’est hyper variable et surtout ça dépend précisément de ce qu’on va faire. Actuellement, on ne réduit rien du tout : on fabrique de plus en plus de choses qui ont besoin de ressources, et même si on remplace des ressources épuisées par d’autres ou qu’on réduit les quantités nécessaires pour produire certains biens, notre système consomme trop.
— Magali : L’humain a longtemps considéré que les ressources naturelles étaient inépuisables. Selon le rapport Planète vivante WWF, l’empreinte écologique de l’humanité sur la planète a plus que doublé au cours des 45 dernières années en raison de la croissance démographique et de la hausse de la consommation individuelle.
Si l’on considère seulement les ressources “énergies”, l’état actuel des réserves mondiales est à retrouver ici.
Et l’électrique, c’est l’alternative miracle ?
— Camille : on ne peut pas produire de l’électricité sans source d’énergie primaire, il faut forcément transformer quelque chose, “rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme”. Passer au tout électrique repose sur un mix d’énergies primaires or si on reste à un niveau de consommation égal au niveau actuel, c’est impossible à long terme.
« La seule porte de sortie qu’on a devant nous, c’est la sobriété. »
Pas celle imposée où on met un col roulé et le chauffage à 19°C, celle où on réfléchit. Ce qu’il faut, c’est définir “ce qu’on est capables de produire sans nuire aux capacités de renouvellement de la nature” versus “de quoi on a besoin pour faire ce qui est vital”.
Est-ce qu’on a besoin d’aller faire des coupes du monde dans le désert ou de concentrer notre énergie collective sur l’école, les hôpitaux, la recherche, les transports de proximité et longue distance faiblement émetteurs de carbone ?
Ce qu’il faudrait c’est qu’un gouvernement collectif (européen par exemple) nous dise, “on est capables de produire sur notre sol tant d’énergie, basé sur un tel mix, sans annihiler les ressources, sans creuser une dette envers la planète, sans contribuer aux changements climatiques : voilà comment et sur quoi on vous propose de répartir cette énergie”.
Aujourd’hui, on nous dit qu’en France on va couper le chauffage dans les écoles. Comment peut-on accepter ça ? Quand, par ailleurs, on ne veut surtout pas réguler les voyages en jets privés au nom de la « liberté » des un·e·s ?
— Magali : Selon moi, il n’y a pas de solution miracle, il y a plusieurs solutions et voies d’amélioration, certaines existent déjà, d’autres sont à améliorer et à inventer :
- repenser et rationaliser ses déplacements pour réduire nos consommations énergétiques,
- lutter contre les passoires énergétiques,
- développer les infrastructures pour renforcer les transports en commun, le covoiturage, favoriser et sécuriser les déplacements à vélo,
- encourager le développement des véhicules propres, pour les individus et pour le transport de marchandises,
- généraliser le télétravail, dès lors qu’il est possible.
Pourquoi sommes-nous actuellement dans une situation qui nous pousse à réduire notre consommation électrique ?
— Camille : Parce que, comme pour tout le reste, on a privatisé la production et la fourniture d’électricité en France, on l’a ouverte à la concurrence et on a désormais un système basé sur l’échange international : une quantité produite à droite à gauche, qu’on échange pour faire fonctionner les marchés d’échange concurrentiels et générer des profits pour les entreprises impliquées. Quand le mécanisme se grippe à cause d’une guerre par exemple, ça ne marche plus.
Ça veut dire aussi que pendant que certains pouvaient se payer de l’énergie à ne plus savoir qu’en faire, d’autres n’y avaient pas un accès réel faute de moyens financiers.
C’est comme pour la production alimentaire : à l’échelle mondiale on peut théoriquement couvrir les besoins de 12 milliards de personnes, pourtant 1 milliard de personnes dans le monde ont faim alors que nous ne sommes “que” 8 milliards.
— Magali : Le contexte géopolitique global actuel (guerre en Ukraine) et les choix stratégiques au niveau national (manque de prévoyance et d’investissements sur la maintenance des centrales nucléaires existantes ; des investissement trop tardifs sur le développement des énergies renouvelables ; la dépendance de la France au pétrole et au gaz, dont les prix ne sont pas du tout maîtrisés par l’Etat mais par les pays producteurs) sont en grande partie responsables de la nécessité de réduire notre consommation énergétique, que ce soit en matière d’électricité ou de carburant d’ailleurs.
Panneaux solaires, éoliennes, pouvez-vous nous dire où nous en sommes ?
— Magali : Le parc solaire atteint en France 8 299 MW de puissance raccordée au réseau national, ça représente 1% de la consommation d’électricité en France. Les panneaux photovoltaïques sont aujourd’hui plus performants et se recyclent de mieux en mieux.
Au 2e trimestre 2022, le parc éolien français était de 19.2 GW de puissance raccordée (9000 éoliennes) et représentait 8,5% de la consommation électrique française (en Allemagne, l’éolien pèse pour plus de 20% de la production électrique).
Il est principalement constitué de parcs éoliens terrestres et depuis le printemps 2022 viennent s’ajouter 80 éoliennes en mer fixes (ou posées) : le Parc de Saint-Nazaire. D’autres parcs offshore verront le jour d’ici 2024 et à l’horizon 2030, la France prévoit d’exploiter 17 parcs éoliens offshore, soit plus de 700 turbines réparties sur nos 3 façades maritimes (Manche, Mer du Nord, Méditerranée).
L’état français vise 40 GW en service en 2050, et pour nourrir cette ambition, il mise principalement sur les parcs éoliens offshore fixes et flottants, qui pourront accueillir des éoliennes de grande puissance (jusqu’à 15 MW l’une), et ce pour des grandes profondeurs.
Face à l’épuisement des ressources, et à l’état des solutions, y a t il d’autres choses à faire selon vous ?
— Magali : Il faut repenser nos modes de consommation et agir pour plus de sobriété énergétique, investir dans des technologies de production d’énergie vertes et d’économie circulaire et relocaliser la production énergétique pour une indépendance énergétique et la création d’emplois locaux.
— Camille : Oui, la sobriété et la planification : où va quoi ? Qu’est-ce qu’on fait avec l’énergie qu’on peut produire ? C’est la seule vraie solution.
« Ce qu’on a vécu l’été dernier en matière de climat va devenir la “norme” ! »
Cet été, certaines communes en France n’avaient tout simplement plus accès à l’eau. Est-ce qu’on réalise bien ce que ça veut dire ?
Maintenant, soit on anticipe, soit on va continuer de subir. On est en train de subir les conséquences de la guerre en Ukraine car le modèle européen n’avait rien anticipé sur l’interdépendance énergétique. On subit déjà les conséquences des dérèglements climatiques de plein fouet mais sans pour autant anticiper leur inévitable aggravation à venir. On ne fait que subir et réagir.
Cette planification, on ne devrait pas la faire à l’échelle d’un pays (car le système politique est basé sur le temps électoral) mais à l’échelle d’une “région” administrée (l’Union européenne par exemple). Réfléchir à ce qu’on peut échanger concrètement entre pays sans nuire à l’environnement et au climat et surtout se questionner sur le but de ces échanges. Cela implique un niveau de coopération difficile à mettre en place actuellement mais qu’il faudra bien parvenir à atteindre.
Merci pour votre éclairage !
Au fait, pourquoi avez-vous souhaité, de votre côté, vous engager avec une ONG comme la nôtre ?
— Camille : Parce que j’y ai travaillé et que j’ai toujours envie d’y être engagé : je crois au projet, à la structure et à sa capacité d’action qu’il faut démultiplier. Une ONG de développement c’est exactement l’échelle à laquelle on voit les problématiques dans leur ensemble : on constate que d’un côté des gens n’ont tout simplement aucun accès à l’électricité et de l’autre des gens qui vivent dans un cadre avec un accès quasi illimité, mais qui pourtant ne peuvent pas l’utiliser parce qu’ils n’ont pas les moyens.
— Magali : parce que l’action du Geres n’a pas de frontière, c’est une ONG internationale reconnue, qui apporte des solutions concrètes pérennes aux populations, tout en participant aussi aux politiques publiques. Elle aide ceux qui en ont besoin, ici et ailleurs.
Je vis en Région Sud et je m’intéresse à la protection de l’environnement depuis… toujours : j’ai choisi d’étudier ce domaine (il y a 25 ans déjà) pour en faire mon métier ensuite. J’essaie, à mon échelle, dans mon quotidien, de réduire mon empreinte sur l’environnement. Soutenir cette ONG ancre encore plus mon action (et mon engagement) pour le développement durable.
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